Réponse à Anne-Charlotte.
Mon foyer, le 10 février 2006
Les boulets compressés rougissent et fondent en chaleur et poudre grise dans le petit poêle de fonte noire de Monsieur Godin. Les poussières craquent sous le saphir pendant que Madame Elisabeth Schwarzkopf susurre des romances dessus le piano de Gerald Moore. C’est un plaisir d’amour tandis que j’écris à ma chère Anne-Charlotte d’une insatiable curiosité.
De nombreuses jeunes femmes jeunes filles veulent tout connaître et même quelques hommes de moi. Dernièrement ainsi, l’une d’entre la demi-douzaine qui porte le riche et beau prénom de Laure fut à me demander si l’on m’avait autrefois voituré au bal dans une belle automobile. Oui, nous embarquâmes dans une longue et large voiture jaune de chrome qui portait le riche et beau prénom d’Ariane. Oui, je dansai sur les parquets cirés sous les boules à facettes hypnotiques. Je tournoyai dans la valse et sautillai galopai dans la steppe slave de la polka. J’ai aussi hardiment traversé les salles de bal en martelant des paso-dobles et repoussant devant moi les épaules d’un matador affriolant. J’ai aussi été véhiculée sur les coussins de la Vedette et de la Chambord que conduisaient des rasés de près jeunes gens cravatés de soie et chaussant des souliers gris perle à boucles dorées. Et même ce fut à l’étranger dans des Chevrolet et des Buick longues comme la Micheline qui roule entre Armentières et Hazebrouck.
Mais des revers de ma santé eurent lieu et quand je revins dans le jour du siècle, les modes avaient changé. On pouvait sauter en l’air et tournoyer en étendant les bras et les poings serrés et soudainement se jeter sur les autres danseurs comme des boules de bowling. Ceci s’appela pogo qui était le tango pour punk. A cette époque je me déplaçais dans le tube de Londres entre le 100 CLUB et le Marquee. Je pratiquais la danse avec des All Stars converties crasseuses et trouées. Quelquefois, il m’arriva de même de danser avec une bouteille à la main de bière et dans le bec une Chesterfield ou une Dunhill allumée.
Croyez-vous ça, Anne-Charlotte ? Oui je sais, vous vous dites, elle se défile, la vieille. Elle ne répond pas à mes questions. Oui oui oui oui mais nous avons le temps de notre côté, n’est-ce pas ? Et même si nous ne nous réincarnons pas sur la planète Vénus en compagnie de Marylin Monroe et de Frank Sinatra, nos ectoplasmes parleront pour nous à la surface des cuillères à soupe, des étangs limpides, des miroirs vides et des plaques de tôle inoxydables signées Guy Degrenne qui couvrent les murs des toilettes dans les estaminets et les pubs de l’underworld. Alors oui oui oui oui je prendrai le temps de répondre à vos interrogations questionnifères sur le langage la réincarnation les analgésiques la beauté et les molécules de notre monde.
Je suis très intriguée par l’évocation à l’intérieur de votre lettre dernière du poème sur les chaussettes. J’aimerais delightfully le lire. Peut-être même accepteriez-vous une collaboration ? Je souhaite écrire à quatre mains avec vous sur les pieds. Nous pourrions faire la paire ! Cette semaine, j’ai lu le Livre d’Ezéchiel, c’est plutôt effrayant et je ne recommanderai pas ce déchiffrage aux personnes de fragile constitution cérébrale. C’est curieux que vous me parliez de bac blanc. Je pensais que cet examen des bacs avait été supprimé et que dès lors on pouvait à l’université entrer comme on le voulait ainsi même comme analphabète en voie d’acquisition. J’étais dans l’erreur. Je devrais sans doute acheter un poste de la télévision. Il paraît qu’il y a de nouvelles entraves (chaînes ?) intéressantes avec de la TNT. Je vous souhaite le succès que vous méritez. Portez-le bien, Anne-Charlotte.
Et je signe ici votre
Mauricette et Beaussart.